vendredi, mars 24, 2006

L'Europe et le développement de l'Afrique

Donc, hier et ce matin, un colloque au Cefres sur l'Europe et le développement de l'Afrique.

Plusieurs thèmes abordés, l'intérêt et les politiques étrangères des nouveaux Etats membres avec l'Afrique, les réformes démocratiques des années 90 en Europe de l'Est sont-elles transposables à l'Afrique? Mais aussi, quelle stratégie européenne globale pouvons-nous proposer à l'Afrique, face aux autres bailleurs de fonds, comment coordonner interventions de l'ONU, de l'UE, et des Etats?; Faut-il budgétiser le Fonds Européen de Developpement (FED)?, ou encore l'allègement de la dette, ou la questions de financements innovants.

Résumé beaucoup trop succint, mais qui présente grossièrement le contenu de ce riche colloque. Je n'aborde pas la matiné d'aujourd'hui, qui portait sur la santé et la paix en Afrique.


L'Afrique intéresse t-elle les nouveaux Etats-membres?


Quelle est la place de l'Afrique dans la politique étrangères de la République tchèque?

L'installation des relations avec l'Afrique s'est fait dans un contexte particulier pour la République tchèque, ainsi que tous les pays d'Europe Centrale et Orientale. Les années 90 sont celles de la transition, économique, démocratique, financière. L'attrait de ces pays pour l'Ouest a guidé leurs transitions, et ces réformes n'ont laissé que peu de temps pour l'Afrique dans les missions diplomatiques d'Europe centrale et orientale.
De ce fait, l'Afrique dans les années 90, une époque de chaos particulier (Guerre du Rwanda, par exemple), a peur de voir les aides qui lui sont normalement consacrée être détournées au profit de l'Europe de l'Est (annulation des dettes, aides en tout genre, etc). Craintes fondées, puisque ces années 90 en Afrique sont ce que l'on peut qualifier des "années perdues" pour l'aide internationale.

Néanmoins, avec l'adhésion à l'OCDE, puis ensuite la classification par le FMI de pays riche, la République tchèque est entrée dans le bal des pays du Nord, devant de ce fait participer aux projets internationaux pour l'Afrique, surtout avec l'OCDE. L'exercice est difficile, la République tchèque n'est pas un ancien colonisateur, les seules relations qu'elle a avec l'Afrique se limitent aux anciens "pays frères" de l'influence soviétique (tout comme d'autres pays d'Europe de l'Est)
La République tchèque se limite donc à l'aide de 8 pays, dont seulement 2 en afrique, Angola et Zambie. Néanmoins, 2000 voit des relations s'ouvrir avec l'Afrique du Sud, et la République tchèque participer à des opérations humanitaires, notamment au Congo et au Rwanda.

En 2009, année charnière des relations Europe/Afrique (plans du Fonds Européen de Développement redéfini), la République tchèque sera à la présidence de l'Union.


Quels instruments pour conduire une politique de développement efficace?

Il est difficile, pour un pays comme la République tchèque, de s'impliquer dans l'aide à l'Afrique, et ce pour plusieurs raisons; petit pays, institutions très fragmentées (9 ministères intéressés à la coopération européenne, ou tchèque, avec l'Afrique), difficile d'être vraiment ambitieux, et argent manquant.
La République tchèque se tourne donc de plus en plus vers des projets de coopérations triangulaires afin de pouvoir se compléter avec un pays plus aisé, d'autant plus que la langue française étant peu parlée en République tchèque, cela l'handicape dans se relations avec beaucoup de pays d'Afrique (même cas pour la Hongrie, moins pour la Pologne).

Il y a aussi des problèmes d'ordre politique et sociétal en République tchèque (point de vue d'un président d'ONG tchèque), notamment le fait que la classe politique tchèque n'est pas du tout éduquée à ces coopérations avec l'Afrique, qu'elle a 50 ans de retard en termes de relations avec l'ensemble du monde, mais avec l'Afrique en particulier (question des anciens pays colonisateurs largement leaders pour la coopération). Par ailleurs, la République tchèque aurait tendance à confondre trade et aid, en versant beaucoup dans l'aide budgétaire, et assez peu dans l'aide humanitaire (cause ET conséquence des ces 50 ans de retard).

En Hongrie, la comparaison se tient parfaitement, et le cas est comparable; le représentant du ministère des affaires étrangères Hongrois propose des répartitions des tâches en fonction des avantages comparatifs et des atouts de chacun des 8 pays nouveaux-membres de l'UE. Pour travailler sur ces complémentarités, la Hongrie compte sur les projets triangulaires, mais aussi sur une meilleure coordination des politiques de l'UE.


L'expérience des réformes économiques en Europe centrale peut-elle être utile à l'Afrique?

Il faut relativiser cette ambition, ou plutôt ce rêve. La transition peut revêtir des formes multiples: le cas polonais a par exemple été assez radical, alors que la Chine ou la Malaisie ont été des cas de transitions graduelles, et encore non-achevées.
Toutefois, en ce qui concerne les PECO (pays d'Europe Centrale et Orientale), la transition a été largement facilitée par l'accumulation du capital physique et du capital humain, ce qui n'est pas le cas de l'Afrique.
Par ailleurs, il ne faut pas voir le modèle des PECO comme étant uniquement celui de la Pologne, de la République tchèque, ou de la Hongrie. Il faut introduire des nuances, entre petits et grands pays d'Europe de l'est, mais aussi anciens pays incorporés à l'URSS et anciens pays "uniquement" satellites.
Prenons l'exemple de l'Estonie, qui n'a encore ouvert aucune ambassade en Afrique, et qui compte en ouvrir une en Egypte en 2009!

Par ailleurs, l'étude de la transition de la Pologne peut être intéressante pour introduire les problèmes qu'ont à affronter les Etats Africains.
La Pologne est a priori le pays qui a le mieux réussi sa transition (je dis a priori, car on ne parle là que de transition économique, et concernant la transition démocratique, et notamment celle de la société civile, je reste circonspect). Pour se faire, elle a favorisé les petits entrepreneurs, profitant en plus d'un esprit d'entreprise certain dans le pays.
Par ailleurs, la "carotte" que représentait l'adhésion à l'UE a joué un rôle important, dans la mesure où elle a permis de faire passer nombre de réformes, impopulaires (70% des paysans contre l'adhésion en 2003, 70% des paysans POUR l'adhésion en 2005).

On peut donc tirer deux premiers questionnements sur le sujet;

  • La démocratie est-elle une pré-condition à la transition?
Dans un sens oui, car les réformes politiques ont toujours précédé les réformes économiques, mais il ne faut pas oublier, d'une part, que la démocratie avait déjà, avant 89, dans les pays d'Europe de l'est, été expérimentée, et que ce n'est pas le cas en Afrique, et d'autre part, que beaucoup de pays ayant contribué au "Miracle asiatique" ont effectué leur transition avec des régimes autoritaires, dictatoriaux, comme la Malaisie ou la Corée du Sud. Et la clé de voûte de ces transitions asiatiques a été le secteur primaire.
Par ailleurs, si l'inverse n'est pas forcément vrai (exemple de la Chine), le développement débouche toujours sur la démocratie.
Personnellement, je nuancerais ce propos en considérant que la Chine avait bien besoin de ces "petits tigres" asiatiques, et aussi en précisant que, à l'inverse de la presque totalité de l'Afrique (sub-saharienne j'entends), l'Asie du Sud-est est une zone d'échanges commerciaux très forte.
Par ailleurs, on peut aussi dire que les investissements et l'esprit d'entreprise sont rares dans les zones non-sécurisées. La majorité des guerres en Afrique sont civiles, et empêchent donc aussi l'implantation d'investissements étrangers, ce qui est une cause et une conséquence de l'éloignement de l'Afrique sub-saharienne des chemins d'échanges commerciaux.

  • Quel projet politique pour l'Afrique? Qui, peut jouer le rôle de la "carotte" pour le continent africain?
Cette question nous amène évidemment à la nécessité d'un dialogue resserré entre Europe et Afrique, et si il ne faut pas se faire d'illusions sur les possibilités d'expériences de l'Europe de l'est, on peut considérer que le NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique), élargi et approfondi pourrait être un bon socle à un partenariat très étroit avec l'UE, qui pourrait jouer un rôle de carotte.



Quelle stratégie européenne pour l'Afrique?

Quelle stratégie européenne pour l'Afrique?

On peut axer ce thème sous deux mots: hétérogénéité et diversité.

Diversité des acteurs, des stratégies, des pays, qui compliquent les outils et l'unité de l'UE sur la question (quoique c'est avec cette diversité que l'Europe tire des avantages comparatifs)
Diversité avec oppositions multiples entre les pays de l'UE dans leurs stratégies nationales.
Diversité européenne, qui fait écho à la diversité de l'Afrique (Maghreb et Afrique du Sud à ne pas considérer de la même manière qu'Afrique sub-saharienne)


Les Européens et les "Autres" en Afrique.

Il y a donc une forte diversité d'acteurs en Afrique. D'une part les bailleurs de fonds européens, mais d'autres part de nouveaux acteurs: Inde, Afrique du Sud, Malaisie, Chine, Brésil, mais aussi un retour très fort du Japon et des Etats-Unis.
Ils épousent des stratégies très diverses: diplomatiques (Brésil), régionales (Afrique du Sud), dans le secteur privé (Malaisie, Inde), ou public (Japon).
La Chine intervient dans tous ces secteurs, tandis que les USA jouent un rôle de rouleau compresseur, avec une doctrine qui diffère des Européens; basée sur la crainte et le défi, et non sur les biens publics mondiaux. (ce qui est peut-être d'ailleurs un bonne stratégie pour sensibiliser l'opinion publique)

Comment répondre à cette diversité?
Il faut renforcer le dialogue avec les bailleurs émergents, voire pourquoi pas, impliquer la Chine dans des programmes européens.


Faut-il budgétiser le Fonds Européen de Développement (FED)?

Le Fed a été créé en 1959, avant même la décolonisation de l'Afrique noire, et reste depuis en dehors des règles budgétaires et du contrôle européens.
Cela a des inconvénients: ça favorise le chavauchement des programmes, ça alourdit les procédures, et ça manque de transparence.
Mais aussi des avantages: ça cible directement les Pays les Moins Développés, ça propos une sécurisation des fonds, et c'est un moyen de pression très utile.
Par ailleurs, l'absence de budgétisation permet, lorsque tout l'argent n'est pas dépensé, de le garder pour un autre programme.)

Face à cette questions, il y a des intérêts divers des pays de l'UE.
Qui paye, et combien? Si le FED était budgétisé, la France paierait moins qu'elle ne donne actuellement, et la Grande-Bretagne bien plus.
Comment légitimer son action et la défendre sur un budget défini?


L'allègement de la dette est-elle une politique qui a fait ses preuves?

La question de l'annulation de la dette revêt plusieurs formes: Annulation partielle ou totale?
Et plusieurs modalités: annulation "sèche"? progressive? etc.

L'annulation de la dette a des effets pervers: perte de réputation pour le pays qui ont profité des allègements, ce qui provoque une méfiance des banques du Nord pour les futurs emprunts (d'autant, encore une fois, qu'aucune "carotte" n'existe type UE pour les pays d'Europe de l'est dont la dette a été annulée dans les 90's, à l'exception de la Hongrie qui a refusé)

Néanmoins, encore une fois, la question de l'annulation de la dette doit être traitée au cas par cas, car la diversité des situations en Afrique est importante, entre les pays qui se situent sur les zones d'échanges commerciaux, les différentes capacités d'endettement, ainsi que les pays profitant d'une manne pétrolière ou gazière (Algérie, qui a remboursé 6 milliards de $ en 14 mois entre 2005 et aujourd'hui, et Nigeria)

L'Europe sur le problème n'a pas défini encore de politique commune, toutefois cela nous renvoie en quelques sortes au problèmes de la budgétisation du FED, car l'annulation de la dette peut être une façon d'utiliser de l'argent non-dépensé et qui doit l'être dans l'année (que faire de cet argent qui ne servira pas? Allez hop, un allègement de dette).


Pourquoi des financements innovants pour le développement?

Les financements innovants ce sont deux grands mécanismes aujourd'hui:
D'une part l'International Finance Facility, initiée par la Grande-Bretagne, d'autre part, la taxe sur les billets d'avion (de 1 à 40€), menée par la France, qui stabilise et sécurise les financements au développement, mais qui, dans l'état actuel, n'est pas susceptible d'apporter des financements considérables

Encore une fois, pas di position commune à l'UE sur ces mécanismes: si la France et la Grande-Bretagne se sont investies dans la taxe sur les billets d'avion, l'Allemagne ou l'Autriche ne font que soutenir, et d'autres pays n'y ont pas participé, et aucun en Europe de l'est, à l'exception de l'Estonie.

On peut donc voir que lorsque l'UE apparaît comme un groupe unitaire, c'est principalement pour des politiques qui sans grand intérêt. L'Europe a toujours fait face à la diversité par des compromis évolutifs. Du coup, la tentation de gérer cette diversité par une homogénéisation est dangereuse, car la diversité est source d'avantages comparatifs.

On peut donc voir, dans la stratégie que l'UE doit adopter, que, siil apparait que l'idéal pour l'Afrique serait un consensus global de type égide de l'ONU, en réalité, et compte tenu des diversités européennes, cette solution serair désastreuse, pour l'Europe surtout, et dans une moindre mesure, pour ce qu'elle peut apporter à l'Afrique (il ne faut pas oublier que l'aide n'est pas que charité. Les enjeux stratégiques qu'elle induit sont importants). Ainsi, on semblerait préférer une compartimentation des aides, qui compliquent la situation mais serait plus favorable aux intérêts européens.

© Pierre CATALAN, mars 2006

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Voilà, vous pouvez souffler, et remercier votre preneur de notes favori. :-)




9 commentaires:

Anonyme a dit…

bonne synthèse petre, décuyi (?)
j'aimerais des détails sur les institutions tchèques: comment 9 ministères peuvent-ils être concernés par l'aide au développement? plein d'autres questions, mais on en parlera ensemble si tu es toujours là le 8 (oui?)

pseudointelektualka a dit…

éééééééénorme!

Admin a dit…

Le 8 à Dijon.

Je vais apporter peu à peu des précisions, j'ai tapé ça en rush en rentrant du colloque.

Admin a dit…

Les précisions seront mises en rouge, afin que vous vous y retrouviez.

Je m'y mets demain.

Anonyme a dit…

zut, bon et ben, on se verra peut-être en août?!

Admin a dit…

Non, tu vas venir à Prague.

pseudointelektualka a dit…

ou bien viens à dijon, asophie!

Anonyme a dit…

je vois assez bien comment 8 ministeres peuvent etre impliques. Il y a un projet d'une ecole agricole en Angola. de ce que j'ai compris sont impliques alors:

-le ministere des affaires etrangeres, normal
-ministere de l'agriculture, normal
-ministere de l'education, normal
-ministere de la sante (je pense qu'il y a egalement un truc sanitaire qui va avec)

donc ca fait deja 4 . puis je vois bien

-ministere du commerce et de l'industrie
-ministere des finances (pour le budget, etc)
-le ministere pour le developpement local

puis d'autres encore?

Admin a dit…

un ministère de la coopération?